L’antidiscours de la méthode : chapitre III (Le Pavillon)

ETTERSPOZIO

L’antidiscours de la méthode : chapitre III (Le Pavillon)

14.07 — 19.08.23
Vernissage: 

Le jeudi 13 juillet dès 18h

L’animal qui manque *

Que cherchons-nous à voir dans les jardins zoologiques ? La réponse semble tellement évidente qu’il paraît vain de chercher à la formuler. Des animaux, for sure. Des animaux exotiques ou autochtones, des animaux sauvages ou domestiques, mais des vivants autres qu’humains. Une part de naturalité accessible dans un environnement domestique, une nature emprisonnée dans les rêts civilisés d’un dispositif social de contrôle. Á travers les grillages ou les vitres, dans la position de surplomb que dessine une colline ou une passerelle, en contre-plongée à travers les vitres souterraines des espaces aquatiques.

Pourtant, selon John Berger, il est impossible pour le visiteur de rencontrer un animal, avec ses attachements et ses impulsions, cet animal façonné par son milieu, lui-même au milieu d’un réseau d’interdépendances qui le constituent. Dans Pourquoi nous regardons les animaux ?, Berger écrit ainsi que « nulle part, dans un zoo, un promeneur ne peut rencontrer le regard d’un animal. Au plus, l’œil de l’animal cligne puis se détourne. Il regarde obliquement. Il regarde aveuglément au loin. Il balaie mécaniquement l’horizon du regard. Il a été immunisé contre toute rencontre, parce que plus rien ne peut occuper une place centrale dans son attention. » Cherchant à voir des animaux, on trouve autre chose. L’animal n’est pas complètement absent mais sa présence est le signe d’une absence de rencontre, celle-là même dont l’aléa – lorsqu’il survient dans un monde sauvage – place l’humain en position d’intrus sur un territoire où sa présence impromptue surprend l’habitant du lieu.

L’exposition donne à voir cette présence-absence, tandis que l’ambiance sonore nous renvoie à un univers technique où même les voix humaines semblent étrangement lointaines et désincarnées. L’incertitude de la présence provoque un flou temporel et une indétermination taxonomique.
Que reste-t-il alors quand on vide le zoo de ses animaux non humains ? Des dispositifs de circulation, des aménagements d’espaces et de naturalités. Les animaux ont déserté une scène désormais occupée par des humains dans un monde d’objets, de sons et d’images. De l’autre côté du décor, on rencontre des travailleurs isolés dans des architectures fonctionnelles, concentrés sur leurs tâches, des individus dont on ne parvient pas non plus à rencontrer le regard. Le zoo orchestre la rencontre entre humains et animaux par un dispositif de contrôle des circulations et des identités. Les places sont assignées et le parcours prescrit. Á la différence des visiteurs·ses, les travailleur·ses assurent le passage entre les mondes clos de l’humanité et de l’animalité. Car la domestication n’est jamais qu’une capture, elle est toujours aussi mise au travail d’animaux qui, dans l’espace zoologique, produisent de la valeur par le spectacle qu’ils offrent.

Ici la circulation n’est donc plus tout à fait contrainte, les identités deviennent ambigües. L’animal absent, ce sont les travailleur·ses qui occupent leur place et, peut-être, sommes-nous nous mêmes enfermé·es dans le white cube de la galerie dans l’attente d’être transporté vers une nouvelle destination, un autre lieu ou un autre avenir.

 

Paul Guillibert

 

* Dans L’Image-Temps, Gilles Deleuze analyse l’émergence d’un cinéma politique dans le Tiers-Monde et les minorités. Selon lui, l’art ne devrait pas s’adresser à un peuple supposé déjà-là mais à un peuple en train de se constituer, en devenir. L’animal qui manque, lui aussi, est en devenir. Voir Gilles Deleuze, L’Image-Temps, Editions de Minuit, 1985 et le travail du collectif curatorial « Le peuple qui manque ».

 

En collaboration avec Utopiana dans le cadre des 1000écologies, qui fait suite à la résidence de 2022.

Horaires: 

Mardi - samedi 14h/18h

Capsules visibles 24h/24h depuis le passage des Halles de l’île